Inédit

" Je t'ai regardée, mes yeux se sont couchés sur ton visage. Mes yeux
comme une lampe qui fouille, des bougies qui caressent, des mains
qui touchent, des lèvres qui baisent en mille feux, des yeux qui
fouaillent ta chair en surtension. Ils te fixaient et coulaient à la
fois projetant le faisceau d'amour si fort que tu t'es arquée comme
un pont. Tu t'es soulevée et tu t'es sentie tout habillée de mon
regard. On brûlait. J'ai dû détourner les yeux tant je suffoquais.
Je te regardais, tu me regardais, je te regardais me regarder et tu
me regardais comme on tranche. Je t'enveloppais toute entière en
toute ta chair. Et chaque regard était un éclair qui nous
électrocutait. On entrait l'un dans l'autre dans l'un à chaque
regard, au plus profond, au plus loin des sens à s'écorcher de
bonheur crucifiés de passion. On chevauchait chaque fois l'infini du
ciel et les prairies de la mer et les houles des steppes et le nu
des gouffres à cru, martyrisés par la violence de l'échange. Je ne
savais pas qu'un regard pouvait être incendie. Oui le regard échangé
d'amour échange la chair et crée un état neuf, un monde furie.
L'entre-regard d'amour trace un chemin de flammes en nos corps et
engendre un faisceau si neuf qu'il engendre le monde, mais un monde
retourné et pétrifié en son retournement, un monde qui est
l'incandescence même de nos corps en pâmoison des passions. L'heure
sentait le thé. "

Extrait de Crocodile, Jean Figerou


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