Il existe deux façons, au moins, d'aborder la poésie contemporaine.

La première consiste à déplorer la faiblesse de son audience aux seules fins d'instruire illico le procès d'un genre accusé d'à peu près tous les maux : hermétisme chic, cérébralité ennuyeuse, froideur hautaine, inactualité formelle, manière de dire sans le dire tout en le disant que l'on n'aime pas la poésie.

Le chroniqueur d'un grand quotidien se livrait il y a peu à ce genre d'exercice, nous renseignant autant, il est vrai, sur le manque d'intérêt porté à ses contemporains que sur sa très honteuse paresse à les lire.

Ce strabisme parfois malveillant est assez répandu ; il pourrait faire sourire s'il ne refourguait, comme toujours, en sous-main, la vieille haine de la poésie vivante et, plus encore, l'inusable pari sur le sens à tout prix, la lisibilité érigée en principe indépassable, assignant finalement à la littérature - docile épouse du réel dans un mariage devant notaire - une fonction purement décorative (ou sympathiquement critique) du discours dominant.

Cette vision dépassée où pointe un zeste de malhonnêteté conduit toujours à préférer au contemporain la rassurante galerie des ancêtres. Inutile de dire que ces positions sans effets ne nous satisfont pas.

La seconde façon - ce sera la nôtre - tentera plus simplement d'aller voir sur place ce qui s'invente dans la langue, de repérer l'émergence de nouvelles propositions esthétiques et d'en saisir les articulations, les enjeux, les vocabulaires, sans s'interdire de tracer des généalogies ou d'inscrire l'extrême contemporain dans son mouvement diachronique.

Cet arpentage de territoires peu balisés, agités de secousses sismiques, soumis à des climats variables comporte certes quelques risques, et d'abord celui de ne point bénéficier d'un peu de champ pour y voir clair.

Mais à tout prendre, c'est là, dans cette mobilité, qu'il nous faudra chercher si l'on veut espérer approcher la poésie d'aujourd'hui, en dégager la singularité tout en explorant la diversité qui, depuis quelques années, en a renouvelé les richesses.

Ces richesses, il suffit de lire ou d'écouter, sont manifestes, qu'il s'agisse de la poésie sonore - phénomène que personne n'oserait plus associer à un effet de mode - ou de l'utilisation des nouvelles technologies (vidéos, samplers, ordinateurs, etc.), qu'il s'agisse des réponses apportées aujourd'hui à la question de la modernité, à celle du lyrisme ou des exigences formelles (collages, poèmes en prose, écritures mixtes, actualité du vers, etc.), qu'il s'agisse enfin des outils - institutionnels, éditoriaux, etc. - qui font passer la poésie dans la Cité.

Ce numéro propose donc une visite guidée dans le dédale des œuvres, des auteurs, des gestes et des lieux qui mettent l'atelier en surchauffe. Contre un certain misérabilisme qui prévaut parfois dans le discours sur la poésie, contre la fétichisation excessive d'une clandestinité revendiquée comme garantie esthétique (et morale) supérieure, l'esprit de ce dossier se veut résolument ouvert, enthousiaste, reflet d'une réalité avérée, certes, et nous en sommes convaincus, mais aussi volonté quasi militante d'extraire la poésie de son injuste confidentialité.

Surtout, il y avait urgence à cartographier la poésie française à un moment de son histoire que nous qualifierons de crucial, et pas seulement dans le champ littéraire. Car, au-delà de toute considération esthétique, la poésie contemporaine offre la forme de résistance la plus radicale à la médiocrité ambiante.

Jean-Michel Espitallier*

*Jean-Michel Espitallier est poète et codirige la revue Java. Dernier ouvrage paru : « Pièces détachées : une anthologie de la poésie française aujourd'hui », Pocket, 2000.

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