L'image a toujours eu mauvaise réputation chez ceux qui éprouvent la haine du corps. Certains prêtres, hier en Pologne aujourd'hui en Iran, combattent le cinéma qui donne le plaisir du Diable. Pour eux l'image est honteuse, comme l'olfaction qui rabaisse la condition humaine en permettant l'homme de flairer comme une bête et de se laisser pénétrer par l'odeur qui s'échappe du corps des autres. Pour les iconoclastes, seuls les mots sont transcendants, la sensorialité, elle, est immanente ...

Car les images, les bruits et même les odeurs indiquent des choses, et les mots sont aussi des objets sonores. Ce sont eux qui matérialisent le signifiant, comme la posture, comme la mimique, comme les gestes, comme les vêtements, comme les objets, car chez l'homme tout peut faire signe. Alors l'image peut à son tour devenir transcendante.

L'attitude intellectuelle des intégristes du mot engendre une véritable persécution. Elle prête aux autres l'intention de rabaisser l'homme au rang de la bête et de la sensorialité immanente. Les voyeurs, les renifleurs, les palpeurs sont pour eux des pervers et non pas des sémiologistes. Ils leur suffiraient de lire 2 lignes, de renconter 2 minutes, d'échanger 2 mots pour découvrir le contraitre. Mais ils ne le font pas ... la pensée est une révélation non pas une élaboration.

C'est ainsi qu'ils ont rendu débiles des milliers d'enfants sourds, en les empêchant de communiquer par les images visuelles signées. C'est ainsi qu'ils ont diabolisé les comédiens qui donnaient trop à voir, les musiciens qui procuraient trop de plaisir auditif, les danseuses qui montraient trop leurs jambes, les femmes trop belles pour être intelligentes et les hommes trop élégants pour devenir d'austères [hommes de savoir].

Boris Cyrulnik, extraits de "La naissance du sens", edition Hachette

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