LE MONDE | 08.02.03 | 12h42
La voix de Depardieu et la foi de saint Augustin


Le comédien donne à Notre-Dame une lecture des "Confessions" et souhaite les faire entendre dans des églises, des temples, des mosquées, des synagogues. Dans un entretien au "Monde", il parle de spiritualité, de cinéma, de Fidel Castro, de vin...
Comme une vague immense. Gérard Depardieu parle de saint Augustin et rien ne semble pouvoir l'arrêter. Il est chez lui, dans le 16e arrondissement à Paris, ravi de son effet de surprise.


Loin de l'homme d'affaires algérien Rafik Abdelmoumene Khalifa et de Fidel Castro. Saint Augustin et Depardieu, qui l'eût cru ?

Tout commence en 2001 à Alger, après un colloque international sur saint Augustin. "Monseigneur Paul Poupard -le "ministre de la culture" du pape-, à qui j'avais parlé de mes premières lectures des Confessions, m'avait encouragé à faire quelque chose. Jean Paul II également, lorsque je l'avais rencontré à Rome, en 2000, lors du jubilé des artistes. Son souhait était que je fasse un film sur saint Augustin."

Fort de ces recommandations, Gérard Depardieu entame alors un long périple à la rencontre de saint Augustin. Il le mènera, dimanche 9 février, à Notre-Dame de Paris, où, dans le cadre de l'Année de l'Algérie en France et avec l'aide du philosophe André Mandouze, il proposera une lecture des Confessions.

"Mon projet, explique Depardieu, n'est pas de lire les Confessions uniquement dans des églises. J'irai aussi dans des temples, des mosquées, des synagogues... Mon rêve serait de lire saint Augustin devant le mur des Lamentations."

Et il parle, encore et toujours, intarissable : "Saint Augustin, c'est pour moi la question du pourquoi. C'est le mystère, le mystère de la vie. J'aime voir les gens en prière, je ne parle pas des fanatiques ou de ceux qui utilisent la religion pour anesthésier leurs douleurs. J'aime le verbe de saint Augustin, sa parole de la méditation, le son qui s'en dégage."

L'idée serait donc de faire l'acteur à propos de saint Augustin ? "Oui et non, Je ne veux pas être vu, je veux juste donner à entendre, poursuivre l'écho d'une question. C'est pourquoi je ne voulais pas faire un film sur saint Augustin. Ça aurait brouillé les pistes."

C'est par l'intermédiaire du président algérien Bouteflika que Depardieu a rencontré, en juin 2002, à Alger, André Mandouze. "Je ne le connaissais pas. C'est Bouteflika qui m'avait dit qu'il était un spécialiste de saint Augustin. Immédiatement, André s'est dit intéressé par mon projet. Et nous nous sommes mis à travailler ensemble, un peu comme, par le passé, j'avais travaillé avec Claude Régy ou Maurice Pialat. Un voyage, un cheminement, où la vie l'emporte sur les idées. Il m'a servi, ainsi que son épouse Jeannette, de guide, de maître. C'est une rencontre fascinante qui a marqué ma vie."


"JE NE SUIS PAS UN ACTEUR"

Plus Depardieu parle, plus l'on se demande s'il joue, s'il se compose un nouveau personnage. "Qu'est-ce qu'un acteur pour saint Augustin, sinon quelqu'un qui viendrait prendre la douleur d'un autre et qui la vivrait ? Jouer, c'est un acte de transfert. Certains passages des Confessions sont très proches de la psychanalyse. Rien de catholique là-dedans. Ça concerne n'importe quelle religion."

A ce stade de la conversation, on se met à parler du cinéma. A essayer de comprendre pourquoi, depuis Le Garçu, de Maurice Pialat, en 1995, Depardieu donne parfois l'impression de ne plus rechercher la difficulté, le risque. "C'est vrai qu'après Le Garçu j'ai eu envie d'arrêter. Avec Maurice, on avait touché des choses trop fortes. Quand on en est à poser des vraies questions et que la seule réponse que l'on y apporte c'est la mort, quand on touche ces choses-là de trop près, alors il vaut mieux changer d'air, retourner à des choses plus normales. Revenir à l'essentiel de la vie.

"Au fond, pour moi, à la différence de beaucoup d'acteurs, l'essentiel ce n'est pas de jouer ; le plus important, c'est la vie. J'ai fait ce métier par abondance et finalement, ma carrière, je m'en fous. Pour moi, l'art ce n'est pas chercher, au contraire, c'est vivre, complètement, généreusement. On peut me coller toutes les étiquettes qu'on veut, je m'en fiche, ça ne m'intéresse pas."

Mais comment déchiffrer ces trajectoires, de Marguerite Duras à Francis Veber en passant par les téléfilms en costumes, les aventures pétrolières à Cuba et vinicoles en Algérie ? "Certains artistes sont capables de tout sacrifier pour le public. Je me souviens de Barbara qui disait : "Je ne peux pas avoir d'homme, parce que mon homme, c'est le public." Moi je n'y arrive pas et c'est pour ça, d'ailleurs, que je ne suis pas un acteur. Je réagis, je traverse des moments de lumière que j'essaye de faire partager. C'était le cas avec Cyrano." Soudain, un sourire illumine son visage : "Et puis, quand je fais du vin, en Algérie, en Sicile ou en Touraine, qu'on le veuille ou non, c'est aussi un acte de création."

Admettons donc que Depardieu ne soit pas un acteur, mais alors qu'est-il ? On lui parle de ses aventures avec Fidel Castro et Abdellaziz Bouteflika, et le voilà qui ne résiste pas au plaisir du jeu et de l'imitation. "Depardiou, mon ami !", soudain le visage de Depardieu change, comme par enchantement il est Fidel Castro. La situation à Cuba, les atteintes aux droits de l'homme, la censure ? "C'est vrai, il y a un côté Shakespeare dans tout ça. Mais bon, il y a aussi de la poésie. Et du soleil." Le théâtre, toujours. Comme la vie de Depardieu.

Franck Nouchi

"Lecture et approche des Confessions de saint Augustin", par Gérard Depardieu et André Mandouze. Cathédrale Notre-Dame de Paris, dimanche 9 février à 16 heures.


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