Affinités atemporelles


"12 mars 1950

J'écris parce qu'il me paraît que le seul intérêt de ce monde est un intérêt littéraire. Tout plaisir est littéraire, même celui de manger une figue, car il ne serait pas plaisir s'il n'était recul étonné, et l'étonnement souhaite le partage, donc la parole.

Si la figue cessait de m'étonner, je la mangerais sans plaisir ; et si elle m'étonne, j'ai besoin de me le dire. La gourmandise, l'avarice et le sentiment de leur vanité sont les passions qui me poussent à écrire.

Je cherche à estimer par l'écriture un trésor, qui n'est peut-être trésor que parce que je ne sais pas quoi en faire.
Il y a quelque chose d'éperdu dans le fait d'être visible, car être vu ne le fait pas cesser.

J'écris comme je suis visible, et comme les choses le sont : à ne savoir qu'en faire. Et j'écris parce que beaucoup n'écrivent pas, préférant croire que "cela" va de soi - qu'on a pas besoin de s'intéresser aux fleurs pour qu'elles soient ce qu'elles sont, et qu'il est sage de les laisser tranquilles.

J'aime à croire que je serai interrogé sur tout ce que je vois : car ainsi je le vois mieux."

Extrait de R. Dubillard, Carnets en marge, Gallimard, La Blanche.

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