Brigitte Labbé : Socrate pour mon quatre-heures

Depuis bientôt trois ans, Brigitte Labbé anime des "goûters-philo" pour les enfants de 8 à 10 ans. La vie, la mort, la justice, Dieu... Autant de questions à savourer tous ensemble autour d'un bon quatre-heures.
Assis en tailleur, ils forment un cercle. Au centre, à portée de leurs mains, comme un feu de camp lors d'une veillée, brillent les emballages de briques de jus de fruit et de bonbons. Apparemment, c'est un simple goûter d'enfants. A un léger détail près : on y discute de ces mêmes notions essentielles qui préoccupent les philosophes depuis des millénaires - la vie, la mort, le bien, le mal, la justice, Dieu, l'être, les apparences...

Ces "goûters-philo", Brigitte Labbé les anime depuis bientôt trois ans, dans la France entière. Chacun des thèmes choisis a fait l'objet, au préalable, d'un petit livre coécrit avec le professeur de philosophie Michel Puech, qu'elle a rencontré à la Sorbonne durant son année sabbatique - année pendant laquelle elle avait quitté son travail en entreprise pour les bancs de l'université. "J'ai eu envie de partager ce plaisir de faire de la philosophie avec des enfants qui ont eux-mêmes spontanément des interrogations philosophiques : tous les parents sont confrontés à des questions sur la violence, la mort, l'injustice. A tout moment, un gamin de 5 ans peut sortir de sa chambre en demandant si Dieu existe. C'est ce qu'il y a de très émouvant dans l'enfance. Je trouve important de donner comme des boîtes à outils pour accompagner le questionnement. Il ne s'agit pas de fournir un catalogue de réponses, mais d'ouvrir la discussion." Celle de cette semaine, au Forum des images, concerne la cruciale question des religions et de la foi. "Bien sûr, en tant que parents, on peut transmettre ses propres valeurs - et d'ailleurs, il me semble, plus par ses actes que par ses mots. Mais devant un tel questionnement, on ne peut pas arriver avec des réponses toutes faites. Parce qu'aucune réponse toute faite n'est vraie."

Durant le goûter, elle est assise au milieu des enfants, dans le cercle. Après avoir gentiment prié les autres adultes de sortir. "Parce qu'ainsi, explique-t-elle, la parole est plus libre. Avec moi, il n'y a pas d'enjeu affectif. Ils oublient même que je suis adulte, et c'est important : ils n'attendent pas de moi des solutions. C'est pour cela que je tiens à ce que l'on s'assoie tous par terre, pour que ma tête ne dépasse pas." La discussion, elle, part du quotidien, de petits récits de vie des enfants. Et de particulier en général, de singulier en pluriels, ces quelques bribes d'existence prennent un relief existentiel. "Ce n'est pas une conversation de salon : on essaie de dégager une problématique, d'avoir une progression de la pensée du début à la fin. Mais je n'ai pas de canevas, pas de fil conducteur, sauf le travail fait autour du livre. Mon seul rôle dans le débat, c'est la vigilance : savoir, dans ce qui est dit, quel fil il faut tirer... Lorsqu'on discute sur le bien et le mal, par exemple, au début, tout est manichéen, classé, simple. Mais peu à peu, au fil du dialogue, les enfants se rendent compte que tout est plus complexe - d'où la nécessité d'avoir une pensée personnelle sur le bien et le mal. Et cette même complexité qui angoisse les adultes, cela les émerveille."

Ce qu'ils tentent peut-être aussi de comprendre, au cours de ces goûters, quel qu'en soit le thème, c'est cette éternelle énigme de la préadolescence : comment se relier au monde et aux autres. "J'ai beaucoup discuté dans des Zep, dans des cités. Partout, quel que soit le milieu social, la pensée est riche et sensible. Mais parfois, c'est la mettre en mots qui pose problème ; ce qui suscite de la violence. Mais celle-ci disparaît dès que ces enfants s'entendent dire des choses profondes : ils retrouvent l'estime de soi."

Orianne Charpentier

Extrait du Monde.fr

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