Fernando Meirelles : Cité de Dieu, enfer des êtres

Extrait de lemonde.fr - lettre aden more on this, more on click

"La violence est dans la tête du spectateur, pas sur l'écran", explique le cinéaste brésilien qui réalise, avec la Cité des
Dieux, un film cru et sans fioritures sur la montée de la délinquance dans une favela de Rio.

Aden : Comment avez-vous adapté ce livre, qui se déroule sur trente années, avec une multitude de personnages, et montre la
montée de la délinquance et du trafic de drogue dans la Cité de Dieu, la Cidade de Deus, favela de la périphérie de Rio ?

Fernando Meirelles : Le livre n'a pas de structure : c'est plutôt une succession d'épisodes mettant en scène à chaque fois un
personnage différent. Nous avons donc eu l'idée de partager l'histoire en trois parties – les années 1960, 1970 et 1980 –
reliées par un fil rouge, – le personnage de Fusée, qui, dans le livre, n'existe que sur une quinzaine de pages.
Quand on traite de la violence, jusqu'où peut-on aller ? Il y a plusieurs scènes très dures, notamment celle où les
adolescents obligent de plus jeunes qui veulent entrer dans leur bande à tirer sur de tout petits enfants ?
J'ai toujours essayé d'en montrer le moins possible. La violence est dans la tête du spectateur, pas sur l'écran... Pour être
honnête, cette séquence-là continue dans le livre, l'un des ados revient sur ses pas et tue le petit garçon... Nous avons
tourné la scène, mais au montage, nous avons pensé qu'il était impossible de laisser ça. Mon monteur a même menacé de
démissionner ! Je précise que cette scène ne sera pas non plus dans le DVD !

Aden : Le constat que dresse votre film est d'un désespoir total ?

Je crois qu'aujourd'hui la situation est encore pire que dans les années 1980. Il y a environ 150 favelas à Rio et trois
chefs en contrôlent une cinquantaine chacun, 15 000 enfants travaillent pour les dealers... Même si la police arrête un chef,
ça ne change rien. Le jour d'après il y a un remplaçant : le roi est mort, vive le roi !

Aden : Pourquoi avoir choisi majoritairement des non-comédiens ?

Paul Lins, l'auteur, a grandi à la Cidade de Deus. Il a mis huit ans pour écrire son livre. Et il raconte que parfois, un
personnage passait sous sa fenêtre et il descendait lui parler pour remonter ensuite écrire ce qu'il avait entendu. C'est
vraiment un livre écrit de l'intérieur ; je voulais la même sensation pour le film. J'ai donc choisi de tourner en décors
naturels – à la Cidade de Deus et dans un autre quartier – et de travailler avec des garçons qui connaissent bien la
situation... Ils jouent leur propre vie, ou celle de gens qu'ils ont connus. Nous avons fait toutes les répétitions en
improvisation. Si vous comparez le scénario et le film, 30 % de ce qu'ils disent était écrit, tout le reste, ils l'ont
créé...

Aden : Au Brésil, votre film est en train de battre des records d'entrées ?

Au départ, je voulais montrer à la classe moyenne brésilienne - dont je fais partie - un Brésil qu'aucun de nous ne connaît.
Je croyais attirer peut-être 5 000 spectateurs dans mon pays, et intéresser quelques salles de cinéma d'art et d'essai à
Londres, Paris et New York... Mais, rien qu'au Brésil, nous avons eu 3 200 000 spectateurs !

Aden : Est-ce que le cinéma peut faire bouger les choses ?

J'ai toujours pensé que non : un film peut faire réfléchir les gens, mais c'est tout... Or celui-ci a suscité des réactions
inattendues. MV Bill, un rapeur très connu au Brésil, nous a accusés dans une lettre très agressive, diffusée sur le Net, de
devenir riches sur le dos des pauvres. Je lui ai répondu et j'ai aussi contacté des amis qui travaillent dans le nouveau
gouvernement. Résultat : nous devons organiser très bientôt une grande réunion avec quatre ministres, des secrétaires d'Etat,
le maire de Rio et un certain nombre d'officiels pour discuter de la meilleure façon de reconstruire les taudis. La Cidade de
Deus sera la première favela à être reconstruite dans le cadre de ce programme...

Propos recueillis par Isabelle Danel

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