JE SUIS UN TOUT PETIT ENFANT par Grosse Fatigue

Je suis un tout petit enfant, j'ai un peu plus de deux ans, et c'est bientôt Noël. Je ne sais pas que c'est une sale fête de famille et un tremplin pour écouler les stocks et remonter le moral des entreprises. Je ne connais rien de l'ordure ménagère de moins de cinquante ans.

Je dis à mon papa (je suis mon papa, dans tous les sens du terme), que je veux un cadeau du père Noël parce qu'il n'y a aucune raison de ne pas y croire, le monde des grands est magique et merveilleux, suffit de voir les guirlandes dans la ville noire, et je ne vois même pas l'hiver, j'ai un peu plus de deux ans je parle de plus en plus, je crois que Wallace et Gromit existent vraiment, et c'est super de penser ça. *

Quand le téléphone sonne, je réponds avec mes 100 mots de vocabulaire qui tournent autour de mon vélo, qui est jaune alors qu'il est rouge, et surtout, comme il est dans la maison, qui fait dodo. C'est normal qu'il fasse dodo mon vélo. Je ne sais pas encore que les objets n'ont pas d'âme et que je vais, tôt ou tard, leur en donner une autre, dont on essaiera de me gaver. A vrai dire, mes parents m'ont dit ça pour que je m'endorme.

Alors j'imagine que mes jouets dorment aussi, et nounours, tout ça. L'autre jour j'ai vu un vrai ours avec une madame ours dans la fosse aux lions, je serais bien descendu leur faire un câlin, je vous dis que je ne sais rien, je suis un tout petit enfant.

Je ne sais pas que les chiens mordent et que les filles vous font mal au cœur quand elles embrassent d'autres garçons, je ne sais rien du passé nazi de l'Allemagne ni de l'Allemagne tout court ni de l'huile noire sur la mer, j'ai un monde minuscule fait de mots nouveaux que je répète avec enthousiasme.

Je ne sais certainement pas que d'autres de mon âge n'ont pas cette chance et me détestent presque déjà. Je ne sais pas du tout la différence entre un baiser et une petite baffe, j'alterne les deux avec les enfants de mon âge. On me gronde, mais je suis un peu le roi, pas trop quand même, la preuve, on n'a pas la télévision.

Je ne sais pas encore la tristesse, je chiale et puis je dors et puis j'oublie et l'on court à nouveau. J'ai une sœur, elle parle même pas, je suis beaucoup plus grand qu'elle, elle n'arrive pas à jouer avec mon garage.

Je ne sais pas, même pas du tout figurez-vous, que l'on peut écrire et communiquer, je suis très basique et plutôt heureux, j'ai deux ans et c'est Noël, et figurez-vous oui, figurez-vous que je ne m'en souviendrai pas de ce Noël, et qu'un jour les autres Noël passeront à la vitesse d'une fusée et même plus encore. Et même un jour, ce sera chiant Noël.

Mais en attendant, je suis un tout petit enfant, et je me demande bien qui est le salaud qui a décidé un jour qu'on ne devait pas rester un petit enfant. Suffit de voir mon père, le narrateur, là, celui qui vous raconte tout ça, ben, il est grand, c'est mon père, je l'aime beaucoup, et je crois sincèrement que c'est un petit enfant. Quand il joue aux Légos™, il arrive même pas à s'arrêter.

J'espère qu'il ne m'avouera jamais le monde et les obligations comptables, et les maladies, et les chagrins, et les amis qu'on perd, et l'odieuse satisfaction des filles qui passent dans des trucs préfabriqués sur des écrans plats 16/9èmes. Je préfère largement le Père Noël. Il est où le Père Noël, il est où ? Voilà ma phrase du moment. J'arrête pas de la répéter...

Je rappelle que Groosse Faatigg se fend la figue et danse la gigue sur son propre site

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